Qu’est-ce que le journalisme d’investigation ? 

27 novembre 2023

Qu’est-ce qui caractérise le journalisme d’investigation ? Comment est-il né ? Quelles grandes affaires a-t-il permis de révéler ? Éléments de réponse dans cet article ! 

Définition du journalisme d’investigation 

Le journalisme d’investigation – également appelé journalisme d’enquête – est, selon le Larousse en ligne, un « type de journalisme fondé sur des enquêtes approfondies et indépendantes, menées généralement sur une personne publique ou un fait de société ». 

Jean-Marie Charon, sociologue et chercheur au CNRS, donne davantage de précisions dans son ouvrage Le journalisme d’investigation et la recherche d’une nouvelle légitimité : “[…] le journaliste d’investigation est le seul journaliste à pouvoir poursuivre une affaire dans la durée, tout du long du déroulement de celle-ci, au besoin durant des années, contrairement à ses collègues qui passent sans cesse d’un sujet à l’autre sans pouvoir en assurer un réel suivi. Illustration de cette singularité, les journalistes d’investigation peuvent changer de titre, ils ne changent pas pour autant de dossier.” 

La différence avec les autres types de journalisme se situe donc le temps accordé à la recherche d’informations et à l’approfondissement du sujet. Le journalisme d’investigation mobilise de nombreuses sources, regroupe de nombreux témoignages. Cette démarche journalistique se veut indépendante de toute influence politique et économique. Elle ne vise pas à partager l’information le plus rapidement possible, mais à transmettre une information qualitative. 

Le journalisme d’investigation en France 

Dans l’ouvrage mentionné plus haut, Jean-Marie Charon précise : “Le journalisme d’enquête a émergé très lentement en France. Il a dû trouver sa place face à l’hégémonie du journalisme politique, pour lequel prévalent la liberté d’expression et l’engagement.” 

L’influence anglo-saxonne et du courant naturaliste en littérature font naître les prémices du journalisme d’investigation.  En 1894, l’affaire Dreyfus donne l’occasion à certains journalistes –notamment Émile Zola – d’enquêter sur les accusations pesant sur le capitaine Alfred Dreyfus. Le journal L’Aurore, dans lequel Zola publie son fameux “J’accuse… !”, déploie des moyens permettant selon Jean-Marie Charon de “dénoncer les mensonges officiels, en donnant à connaître au public des faits et des documents, cachés, jusque-là, à sa connaissance.” 

La création du Canard enchaîné en 1915 – en riposte à la censure de guerre en vigueur à l’époque – peut également être considérée comme un premier pas vers le journalisme d’investigation, même si l’hebdomadaire satirique ne s’oriente réellement dans cette voie qu’à partir des années 1960. 

Il faut attendre les années 1980 pour que le journalisme d’investigation s’affirme réellement et prenne la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Il est pratiqué notamment par Le Monde, L’Express, Le Point, … qui donnent à certains de leurs journalistes les moyens d’enquêter sur des affaires spécifiques. Celles-ci peuvent mettre en cause des partis politiques, des institutions, des grandes entreprises…  

À partir des années 2000, le journalisme d’investigation est “ancré” dans de nombreux médias et dans différents services : politique, économie, sport, etc. Il en va de même dans la plupart des démocraties du monde. Notons que certaines grandes figures du journalisme ont contribué à la reconnaissance de cette pratique. C’est le cas par exemple d’Edwy Plenel, créateur du site d’informations Médiapart, qui a contribué à révéler de nombreuses affaires politico-financières. 

Journalisme d’investigation : quelques exemples 

Le journalisme d’investigation porte sur un sujet d’intérêt général, souvent délicat à traiter car pouvant avoir des ramifications politiques, financières, sociales… Les journalistes concernés doivent résister par ailleurs à la tentation d’une diffusion rapide permettant l’exclusivité. Voici quelques exemples de sujets traités par des journalistes d’investigation. 

2010 : l’affaire Woerth-Bettencourt 

Révélée par Médiapart, elle porte sur les possibles opérations d’évasion fiscale de la milliardaire Liliane Bettencourt, sur des conflits d’intérêt entre elle et le ministre du Budget Éric Woerth, et sur un possible financement illégale de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy. 

2012 : l’affaire Cahuzac 

Également révélée par Médiapart, elle met en cause le ministre du Budget Jérôme Cahuzac : celui-ci aurait possédé en Suisse et à Singapour des fonds non déclarés. Le ministre reconnaît finalement les faits et il est mis en examen pour fraude fiscale.  

2016 : les Panama Papers 

Une fuite de documents du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca – spécialisé dans le droit commercial international et les affaires en placement – permet d’établir que des personnalités politiques, des sportifs de haut niveau et des milliardaires dissimulent des fonds dans des sociétés offshore échappant à l’imposition. Parmi les mis en cause : le Premier ministre islandais, le Président d’Ukraine, le joueur de football Lionel Messi, le secrétaire général de l’UEFA Gianni Infantino, le réalisateur espagnol Pedro Almodovar… 

Destinataire de ces informations, le journal allemand Süddeutsche Zeitung les a rapidement partagées avec le Consortium international pour le journalisme d’investigation (organisation à but non lucratif basée à Washington DC). Cela a permis une coopération mondiale de nombreux journalistes d’investigation à travers le monde, qui ont exploité les données mises à leur disposition. 

1972-1974 : le scandale du Watergate 

Faisons un saut dans le temps… En 1974, le scandale du Watergate contraint à la démission le président américain Richard Nixon. L’enquête minutieuses menée par les journalistes du Washington Post Bob Woodward et Carl Bernstein relève des méthodes de l’investigation (leur journal leur demande notamment de travailler sur l’affaire à plein temps). Le retentissement est tel que de nombreux journalistes accolent désormais le suffixe “gate” à certaines affaires dont ils traitent : Angolagate, etc. 

Les médias français impliqués dans le journalisme d’investigation 

Comme mentionné plus haut, les médias français sont désormais nombreux à s’impliquer dans le journalisme d’investigation, même si Le Canard enchaîné et Médiapart sont probablement les médias les plus actifs en la matière. 

Jean-Marie Charon précise dans son ouvrage : “[…] les journalistes d’investigation sont regroupés dans de petites « cellules d’investigation », souvent de deux à quatre, rarement plus, hormis le cas, bien sûr, du Canard Enchaîné. Ces cellules sont souvent rattachées au service des « info géné », plus ou moins proches des spécialistes de questions de police et justice, ainsi que des chroniqueurs judiciaires et les spécialistes de faits divers. Mais ces cellules jouissent d’une grande autonomie.” 

Longtemps cantonné à la presse écrite, le journalisme d’investigation s’introduit peu à peu dans l’audio-visuel. Ainsi, des émissions comme Cash Investigation – présentée par la journaliste Élise Lucet – s’intéresse aux pratiques et aux dérives des grandes entreprises, ainsi que du monde de la finance et du marketing. 

Le journalisme d’investigation : une nécessité pour la démocratie 

Dans un cadre de défiance vis-à-vis des médias, souvent accusés de collusion ou de rapprochement excessif avec le monde politique et financier, le journalisme d’investigation réaffirme pleinement le rôle fondamental des médias dans le fonctionnement démocratique. Il permet de mettre en lumière ce qui échappe aux journalistes “saisis” par l’actualité immédiate. L’enquête récente du journaliste indépendant Victor Castanet – auteur du livre Les fossoyeurs sur les maltraitances systémiques en EHPAD – illustre cette importance de l’investigation. 

Si ses méthodes font parfois débat et sont fréquemment mises en cause (exemple avec l’affaire Woerth-Bettencourt), le journalisme d’investigation permet de fournir au grand public des informations d’intérêt général dont il n’aurait pas connaissance autrement. Le journalisme d’investigation donne par ailleurs la mesure des moyens à déployer dans certaines circonstances pour comprendre et analyser le monde qui nous entoure. 

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