Qu’est-ce le travail de fact-checking en journalisme ?
Le fact-checking est une expression anglaise qui signifie « vérification des faits ». Dans le monde de la presse, cela désigne la vérification des faits concernant des éléments de débat public, notamment à la suite d’affirmations de responsables politiques. Depuis les années 2000, le fact-checking est une pratique répandue dans les médias : certains journalistes sont désormais des fact-checkers à part entière et il existe des services spécialisés dans ce domaine au sein de nombreuses rédactions.
Cela peut a priori sembler curieux, dans la mesure où un journaliste est supposé présenter au public des informations avérées : la vérification des faits serait donc par définition au cœur de la méthode journalistique. Ce recours au fact-checking s’explique par un certain nombre d’évolutions dans le paysage de l’information, en particulier l’apparition des réseaux sociaux et des chaînes d’informations en continue. Il s’explique également par à l’évolution du débat public et sa polarisation croissante.
Le fact-checking, un enjeu sociétal depuis les années 1990
Laurent Bigot, directeur de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT) rappelle dans un article de la revue Communication et langages que le fact-checking existait déjà dans les années 1920 aux États-Unis. Il précise cependant que cela ne recouvrait pas la même réalité que maintenant : il s’agissait plutôt d’un travail s’apparentant à du secrétariat de rédaction (vérification des dates, des noms, des chiffres, etc.). La pratique visait plutôt à protéger le journal de réprimandes et d’actions judiciaires.
Le nouveau fact-checking qui émerge à partir des années 2000 a une autre fonction. Selon Laurent Bigot : “Il s’agit toujours d’un travail de vérification, certes, mais qui a opéré un glissement, abandonnant l’examen exhaustif et systématique des contenus journalistiques avant publication pour le contrôle ponctuel de citations publiques a posteriori.” Il ajoute que cette pratique consiste à “contrôler la véracité des propos tenus par des responsables politiques ou par d’autres personnalités dans le champ public (interviews radio ou TV, meetings, etc.).”
Cette évolution s’explique par deux facteurs :
- Le développement des technologies de l’information et de la communication (internet, téléphonie mobile, réseaux sociaux, chaînes d’informations en continue), qui ont accéléré la diffusion de l’information.
- Le développement de la critique des médias, accusés de ne pas être toujours impartiaux dans leur traitement de l’information.
Toujours selon Laurent Bigot, “[…] cette seconde version du fact-checking américain s’apparente davantage à ce qui a été appelé watchdog journalism (journalisme de dénonciation, vigilant quant aux abus et mauvaises pratiques des organisations et personnels politiques notamment), et aussi, de manière plus certaine, au ad watch journalism, format journalistique qui, à compter des années 1990, s’est attaché à évaluer l’exactitude des publicités politiques.”
Sont visés par le fact-checking :
- les imprécisions, les inexactitudes et les omissions ;
- la déformation volontaire ou non de l’information ;
- la décontextualisation de l’information ;
- les mensonges et les reprises volontaires ou non d’informations mensongères.
Les débuts du fact-checking sont plutôt le fait d’universitaires et d’initiatives privées. Ainsi, les créateurs du site FactCheck.org, issus de l’université de Pennsylvanie, font office de précurseurs. Leurs objectifs étaient les suivants : “Nous surveillons l’exactitude factuelle de ce qui est dit par les principaux acteurs politiques américains sous la forme de publicités télévisées, de débats, de discours, d’interviews et de communiqués de presse.”
Les médias américains traditionnels leur emboîtent le pas, notamment à l’occasion de l’élection américaine de 2008, avant que le phénomène prenne de l’ampleur dans le pays et le reste du monde.
Le fact-cheking en France et dans le monde
En matière de fact-checking, la France n’est pas en reste. En attestent la création de l’émission Arrêt sur Images – puis la création du site du même nom en 2001 – ainsi que de l’association Acrimed en 1995 : dans les deux cas, l’objectif est d’observer les médias, de critiquer les pratiques, de revenir sur la véracité des faits.
Les médias eux-mêmes s’emparent du sujet en créant des services spécialisés dans le fact-checking. Ils portent des noms différents : Les décodeurs pour Le Monde, Désintox et Checknews pour Libération, Les Pinocchios pour l’Obs… La pratique peut prendre des formes différentes. Ainsi, le service Checknews de Libération fonctionne en répondant aux questions des internautes. Ce type de service s’est généralisé dans les rédactions, en particulier depuis l’élection présidentielle de 2012.
Le fact-checking est lié à la ligne éditoriale des médias qui le réalisent : sujet à vérifier, hiérarchisation des articles de fact-checking… Chaque rédaction fait ses choix.
En 2019, pour lutter contre les fakes news, 19 médias internationaux se sont réunis pour créer l’IFCN, l’International Fact-Checking Network. En janvier 2022, plus de 80 organisations de fact-checking ont signé une lettre pour demander à YouTube de lutter contre la désinformation.
L’efficacité du fact-checking en débat
L’efficacité du fact-checking est parfois remise en question. Ainsi, des événements comme l’élection de Donald Trump ou le Brexit ont pu montrer l’efficacité relative du fact-checking. Dans les deux cas, en effet, le camp victorieux s’est appuyé, pour l’emporter sur la diffusion d’informations fausses ou manipulées. Libération relevait ainsi les 10 plus gros mensonges du candidat Trump dans un article du 9 novembre 2016. Quant au Brexit, France Inter y consacre une émission qui montre une forte manipulation de l’opinion.
Ces éléments tendent à montrer que le fact-checking, pour utile et nécessaire qu’il soit, ne constitue pas une solution miracle. Il peut être impuissant à jouer pleinement son rôle face à la polarisation des idées et les manipulations de l’opinion par le biais d’une désinformation croissante, facilitée notamment par la digitalisation de l’information …
Notons tout de même que ces événements ont pu aussi faire avancer le travail de fact-checking. Ainsi, l’élection de Trump contribué à institutionnaliser cette méthode journalistique aux Etats-Unis, où le New York Times puis d’autres médias ont détaché des équipes entières de journaliste pour s’attacher à réaliser des missions de fact-checking. Ces équipes ont perduré par la suite.
Ds chercheurs tels que Frédéric Lordon mettent par ailleurs en avant le fait que les médias souffrent de maux profonds que le fact-checking ne peut suffire à guérir. Selon lui, le manque de moyens d’une presse « peuplée de pigistes et de précaires » explique en partie le fait qu’elle ne puisse jouer efficacement son rôle de quatrième pouvoir. À cela s’ajoute selon Lordon le fait que les médias, dans une large mesure, se feraient les chantres d’une idéologie libérale dominante.
Il conclut, glacial : “On en finirait presque par se demander si l’indigence de ses réactions ne condamne pas ce système plus sûrement encore que l’absence de toute réaction. C’est que pour avoir depuis si longtemps désappris à penser, toute tentative de penser à nouveau, quand elle vient de l’intérieur de la machine, est d’une désespérante nullité, à l’image de la philosophie du fact-checking et de la « post-vérité », radeau de La Méduse pour journalisme en perdition.”
Daniel Scheidermann lui répond dans Libération : “Oui, les Décodeurs écopent. Ils écopent avec leurs petites timbales. Ils écopent si dur, ils se prennent dans la figure tant de paquets de mer ces derniers temps, qu’ils n’ont peut-être pas le temps de voir d’où vient l’écume. Ils écopent comme écopent les économistes hétérodoxes dans une université sous domination orthodoxe, les profs dans les ZEP, les infirmières des services de nuit, les juges dans les tribunaux surchargés. Est-ce une raison pour abandonner ?”
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